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Le Figaro

LA FIN D’UN MONDE

Oct 01, 2013

by Vincent Jolly

Les animaux semblent poser spécialement pour le photographe, comme en studio

«On this earth, a shadow falls across the ravagedland »
(« Sur cette planète, une ombretombe sur la terre ravagée »).

Il aura fallu treize ans au photographe Nick Brandt pour terminer cette phrase. Elle sonne comme une sentence. Une sombre formule, composée du titre de ses trois ouvrages, qui conclut autant qu’elle résume l’ensemble de son oeuvre. « J’aimerais pouvoir vous dire que je savais comment allait finir cette phrase quandj’ai terminéOn This Earth en2004,
confie Nick Brandt, de passage à Paris, dans lagaleriequi l’expose.Mais ce serait un mensonge. » L’homme a la simplicité et l’honnêteté des grands de la profession.

Perfectionniste, rigoureux, d’une incroyable exigence avec luimême, l’ancien réalisateur de clips vidéo de Michael Jackson, reconverti en 2000 dans la photo, s’empresse de vérifier les derniers détails d’éclairage sur ses tirages avant le vernissage de son exposition.

« En terminant mon deuxième livre, A Shadow Falls, en 2009, j’ai constaté que
la situation de la faune africaine s’aggravait, poursuit le photographe. La trilogie
s’est alors achevée sur une note plus noire que celle sur laquelle je l’avais commencée.» Son travail, il le voit comme un testament. Nonpas le sien, mais celui des animaux dont il tire le portrait.

« Dans un monde idéal, je voudrais que les gens qui regardent mes photos finissent
par s’engager dans la protection de l’environnement.»

Ses tirages grand format, réalisés avec le même appareil depuis dix ans et qu’il développe luimême, imposent et séduisent autant par leur esthétisme impeccable que par la puissance qui s’en dégage. La particularité de son travail réside dans la
proximité physique qu’il instaure avec ses sujets. Une règle à laquelle il
ne déroge jamais et qui constitue la pierre angulaire de son oeuvre.

« Si je voulais faire un portrait de vous, pour capturer votre émotion et votre personnalité,
je ne me mettrais pas à 200 mètres avec un téléobjectif. Je me placerais
devant vous. »

Quid du danger, face à des animaux sauvages ?

« Je me rapproche d’eux, tout doucement, jusqu’à ce qu’ils m’ignorent totalement. »

Comment ?

«Justede lapatience,beaucoupdepatience.»

Par cette démarche, Brandt parvient à tisser une étonnante relation avec les
lions et les éléphants qu’il immortalise. Ses photos sont graphiques et majestueuses.
Les animaux qui y figurent semblent appartenir à une autre époque. Le noir et blanc, qu’il utilise depuis ses débuts, y est pour beaucoup.

« J’y trouve une sensibilité particulière, une atmosphère intemporelle qui traduit
mon propos comme aucun ciel bleu ne pourrait le faire. »

Pour prolonger son combat, Nick Brandt a fondé, en septembre 2010, la Big Life Foundation. Avec 315 rangers couvrant 2 millions d’hectares en Afrique, Big Life est une des rares organisations de défense des animaux à agir sur différents Etats.

« Car les braconniers, eux, se moquent des
frontières… »

Si sa trilogie est terminée, il n’a pas misdepoint final à saphrase. Il est vrai
que son combat n’est pas fini.

« Je ne sais pas encore comment je vais poursuivre mon travail, je n’y ai pas encore réfléchi. »

Une exposition en Chine, le plus grand importateur d’ivoire ?

« Il faudrait que je le fasse, avoue Nick Brandt. La protection de ces animaux passe par des actions sur le terrain, mais aussi par l’éducation des populations. En chinois, le mot “ivoire” veut dire aussi “dent”. Ils pensent que les défenses tombent naturellement et que les braconniers ne font que les ramasser. Peutêtre qu’après avoir vu un éléphant au crâne mutilé à coups de tronçonneuse, ils changeront d’avis…»