Par Christian Gauffre
par nick brandt
C’est à plus de 30 ans, après avoir notamment réalisé des vidéos pour Michael Jackson,
Moby et d’autres, que ce Londonien devenu californien se tourne résolument vers la
photographie, avec l’Afrique de l’Est pour tropisme. Réparties sur trois volumes, ses
images brossent depuis 2005 un portrait alarmant de la région, métaphore d’une
menace planant sur la planète tout entière. Oiseaux pétrifiés, fauves empaillés, ivoire braconné…
Après Vivre sur cette terre et l’Afrique au crépuscule, Chronique d’une terre dévastée vient en quelques dizaines d’images faire un peu plus frémir nos consciences. Témoin,
acteur – au travers de sa fondation Big Life –, mais aussi artiste exposé dans les galeries
du monde entier (huit expositions ont coïncidé avec la sortie du livre, édité en France par
La Martinière), Nick Brandt montre un monde qui se meurt, certes, mais où l’espoir survit. La vie en grand.
Photo : Vous venez de publier Chronique d’une terre dévastée, troisième volet d’une trilogie africaine. Combien de temps avez-vous consacré à cet ensemble ?
Nick Brandt : Douze ans. Il y a une progression de livre
en livre… Bien sûr. Au début, il s’agit d’un jardin d’Eden, d’une terre d’abondance… Puis, d’un livre à l’autre, et même à l’intérieur de chaque livre, dans le séquençage, on arrive à un monde émotionnellement austère.
Dans le dernier volume, l’homme apparaît vraiment
dans les images…
L’homme est le principe destructeur, mais il apparaît ici comme le protecteur. Les rangers sont là pour protéger.
Avez-vous essayé de photographier des braconniers ?
Oui, mais je dois l’admettre, j’ai échoué ! L’art est, fondamentalement, un processus où alternent échecs et réussites. Pour citer Beckett, « Essayer encore. Rater encore. Rater
mieux ». J’exagère un peu, mais je peux passer des semaines en reportage sans prendre de photo, à me demander si je ferais jamais une autre bonne image.
Cette terre dévastée, c’est l’Afrique de l’Est, mais n’est-ce pas aussi le continent, voire la Terre entière ?
Exactement. Même si je ne montre que l’Afrique de l’Est, d’un point de vue purement environnemental, il s’agit bien de la planète tout entière.
Pensez-vous qu’il y a un moyen d’éviter cette catastrophe ?
Nous pouvons gagner certaines batailles pour protéger les animaux et leur environnement. C’est pourquoi j’ai créé la fondation Big Life. Je me suis dit qu’on pouvait faire quelque chose de valable, qui fonctionnerait dans une zone spécifique. C’est
exactement ce qu’il se passe sur plus de 8 000 km2 à Amboseli,
entre Kenya et Tanzanie.
Vous avez lancé Big Life en 2010. Qu’est-ce qui a déclenché votre décision ?
Je n’étais pas allé en Afrique de l’Est depuis l’été 2008. A mon arrivée, j’ai été choqué par le changement. Les troupeaux d’éléphants, qui naguère se déplaçaient paisiblement à deux mètres de moi, paniquaient et fuyaient à près d’un kilomètre quand on les approchait ! Le braconnage, entre-temps, avait considérablement augmenté. Les parcs nationaux et les réserves sont relativement petits, et les animaux vivent pour l’essentiel hors de ces zones protégées. Big Life vise à protéger les animaux des zones exposées. Notre succès est essentiellement dû au soutien des communautés locales. Nous avons 315 rangers et 31 avantpostes. On peut se demander comment 315 personnes parviennent à couvrir plus de 8 000 km2. La réponse est simple : une multitude d’yeux les seconde. Les femmes, les filles, les soeurs, les frères, les fils des rangers surveillent. C’est un immense réseau d’information sur l’écosystème. Les communautés comprennent de mieux en mieux la valeur et les bénéfices économiques à long terme du tourisme autour de la faune sauvage.
Vous avez réalisé d’étonnantes photos d’animaux calcifiés…
Je les ai découverts au bord du lac Natron, dont l’eau, la plus caustique du monde, réfléchit incroyablement la lumière. Les oiseaux s’écrasent parfois contre les vitres à cause du paysage ou du ciel qui s’y reflète. C’est ce qui se produit sur ce lac. Les oiseaux se noient, sont rejetés sur la rive, la soude préserve leurs corps. Je les ai trouvés et placés sur des branches dans la position dans laquelle je les ai trouvés. Pouvoir faire le portrait d’une créature morte comme si elle était vivante, c’est fascinant.
Autre choc, une tête de lion fixée sur un poteau en plein désert…
Je voulais montrer des animaux dans un cadre où ils ne vivaient plus. Je me suis procuré de vieux trophées de chasseur, que j’ai placés in situ. Dans le cas de ce lion, je voulais donner l’impression qu’il était vivant et qu’il posait un regard mélancolique sur les plaines qu’il avait jadis parcourues. Idem avec le buffle et le coudou.
Vous photographiez pour garder une trace d’un monde qui se meurt ?
Oui, ç’a été mon impulsion première. L’ultime testament. Mais il y a de l’espoir. Nous allons perdre quantité d’écosystèmes et d’animaux, mais il reste des lieux que nous pouvons préserver.
A l’occasion de la sortie de votre livre, huit expositions ont été organisées quasi simultanément dans le monde entier… Comment avez-vous fait ?
Nous avons fait beaucoup de tirages pendant tout l’été, pour l’essentiel dans mon studio!
Mais pourquoi ces expositions au même moment ?
Pour qu’elles coïncident avec la sortie du livre !
Avez-vous pensé très tôt à exposer dans des galeries ?
J’y ai toujours songé. Si peu de gens le font, c’est peut-être parce que rares sont ceux qui pensent leurs photos animalières en tant qu’objets d’art, comme je le fais.
Tirez-vous un bon prix de la vente de vos tirages ?
Oui, ça se vend bien.
Quelle est la place de la photographie dans le marché de l’art contemporain ?
Je ne vois aucune raison de faire une différence entre les médias. Ce qui importe, au bout du compte, c’est le message, l’intégrité de l’artiste et ses idées. Peu importe le média, photographie ou autre. Je n’étiquette pas les choses dans ma pensée.